Jean-Christophe Antoine. Service de Neurologie. CHU de Saint-Etienne.

En 1948, Derek Denny-Brown alors professeur de Neurologie au Harward Medical School à Boston proposa pour la première fois le concept de ganglionopathie sensitive à partir de deux observations anatomocliniques.1 Il s’agissait de deux hommes de 59 et 71 ans qui développèrent en quelques semaines des paresthésies et des douleurs invalidantes des quatre membres avec une ataxie sévère contrastant avec la normalité de l’examen moteur. Si toutes les modalités sensitives étaient altérées, l’atteinte de la proprioception prédominait. La face était touchée chez l’un deux. L’autopsie révéla une disparition des neurones sensitifs dans les ganglions rachidiens postérieurs avec une dégénérescence des cordons postérieurs de la moelle et des racines postérieures alors que les motoneurones et les racines antérieures étaient parfaitement respectés. Les neurones sensitifs étaient remplacés par une prolifération des cellules satellites sans autre lésion spécifique, en particulier inflammatoire. De plus, les deux hommes étaient atteints d’un cancer pulmonaire.

Denny-Brown considéra ces deux cas comme un exemple unique de déafférentation liée à une atteinte exclusive des neurones sensitifs différente de tout ce qui était connu jusqu’ici. Comme il n’existait aucune lésion spécifique dans le ganglion rachidien il conclut à un processus dégénératif d’origine métabolique ou carencielle. Il discuta bien sûr le lien avec le cancer et proposa qu’un produit sécrété par la tumeur ait put induire le trouble métabolique.

Ces deux observations remarquablement bien analysées tant sur le plan clinique qu’anatomopathologique résument parfaitement le tableau des ganglionopathies sensitives. Il y manque bien sûr l’aspect neurophysiologique caractérisé par une réduction sévère ou une abolition des potentiels d’actions sensitifs diffuse, de distribution non-longueur dépendante, et isolée. Ces deux observations peuvent être classées comme relevant d’un syndrome neurologique paranéoplasique mais ce concept ne fut formulé qu’en 1961 par Boudin2 qui appela ainsi une action à distance d’une tumeur sur le système nerveux non explicable par une infiltration néoplasique, une carence, une infection ou l’effet des traitement anti-cancéreux. Le premier anticorps associé à ces syndromes fut décrit par P.C. Wilkinson à Glasgow en 19653 et redécouvert en 1985 par Francesc Graus qui identifia l’anticorps anti-Hu,4 le plus fréquent des anticorps onconeuronaux en association avec le cancer à petites cellules du poumon. On sait que cette forme de ganglionopathie sensitives relève d’un processus d’immunité croisée impliquant des antigènes tumoraux exprimés par le système nerveux. Denny-Brown passa à côté de l’étiologie inflammatoire du trouble parce que les autopsies furent pratiquées de nombreux mois après le début des symptômes, lorsque la phase inflammatoire initiale était passée. Cela nous rappelle l’urgence à diagnostiquer ces patients et à traiter leur tumeur tant que la phase inflammatoire est active.

Les formes paranéoplasiques ne représentent au maximum que 20 à 25% des ganglionopathies sensitives. D’autres sont génétiques ou toxiques ou parfois virales. Il existe d’autres ganglionopathies sensitives inflammatoires, notamment en association avec une maladie auto-immune systémique et plus particulièrement le syndrome de Gougerot-Sjögren. Au bout du compte, environ un tiers des neuronopathies sensitives demeurent de cause inexpliquée. Récemment des anticorps, anti-FGFR3 et anti-AGO, ont été décrits chez certains patients sans étiologie connue.

Il reste un dernier point de l’étude de Denny-Brown qui n’est en général pas relevé. En effet, un des patients avait des lésions musculaires sévères compatibles avec une myosite nécrosante. On sait que de telles myosites peuvent être paranéoplasiques mais leur association à la ganglionopathie sensitive est exceptionnelle (un cas personnel).

Fiche relue le 19 octobre 2021 par le Pr Jean-Philippe Camdessanché et le Dr Aurélie Siri.

 

Références 

  • Denny-Brown D. Primary sensory neuropathy with muscular changes associated with carcinoma. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1948;11:73-87.
  • Boudin G. Neuropathie péripéhrique dégénérative et myélome. Bull Soc méd Hôp Paris 1961;77.
  • Wilkinson PC, Zeromski J. Immunofluorescent detection of antibodies against neurones in sensory carcinomatous neuropathy. Brain 1965;88:529-583.
  • Graus F, Cordon-Cardo C, Posner JB. Neuronal antinuclear antibody in sensory neuronopathy from lung cancer. Neurology 1985;35:538-543.