Penser, en vivant, à grandir en sorte à briller peu à peu.

Penser, en mourant, à pâlir en sorte à bleuir peu à peu.

Philosophie infinitive, livre IV, p. 393

Le Professeur Emmanuel Fournier nous a quitté le 2 Avril 2022…

Nous ne pensions pas devoir faire si tôt l’éloge d’un homme que tant de neurologues ont simplement connu comme Emmanuel…

Sans doute aurait-il aimé que nous rappelions son prénom plutôt que son titre, tant il est vrai qu’évoquer son image, c’est rappeler la simplicité de l’homme qu’il fut autant que l’humilité d’un neurophysiologiste accompli, méticuleux, attentionné, à l’écoute des patients comme à celle de ses confrères. Le rencontrer, même brièvement, c’était s’enrichir. A tous ceux qui l’ont approché, neurologues chevronnés comme jeunes internes, il enseignait en souriant que pratiquer l’électromyogramme était un art, imposant le souci constant de respecter le patient, de lui éviter la douleur, autrefois corollaire presque obligé ce cet examen réputé pénible. Le patient confié à Emmanuel avait l’assurance de rencontrer un médecin prenant le temps non seulement d’expliquer cet examen, mais encore de le rassurer. Aussi n’était-il pas rare de rencontrer des hommes et des femmes qui, manifestement inquiets avant d’entrer dans la salle d’examen, en ressortaient bientôt le sourire aux lèvres…

Emmanuel fut un maître pour nous, et son souci de faire comprendre et d’expliquer, il le traduisit par de nombreux enseignements et par des livres qui ont fait date. En effet, quel meilleur guide pour aborder l’EMG que sa magistrale Sémiologie EMG élémentaire ? Quel meilleur compagnon pour l’examen que son Atlas d’électromyographie où il joignit des qualités d’illustrateur à celles de pédagogue ?

L’homme nous a quitté, l’œuvre reste donc. Ses fructueuses collaborations avec ses confrères des centres de référence ont notamment permis la caractérisation des canalopathies musculaires, dont le diagnostic électrophysiologique repose aujourd’hui sur la méthode qu’il a définie. De même, il a participé activement au démembrement des syndromes myasthéniques congénitaux.

N’oublions pas le jardin secret que représentait pour lui la philosophie, et la profonde originalité de cette philosophie infinitive qu’il déclina en des pages invitant à changer notre manière de formuler la pensée. Ses ouvrages ont fait la joie de ceux conviés aux présentations dans les librairies parisiennes qu’il aimait tant.

Le goût de la collaboration, Emmanuel l’a cultivé pendant près de deux décennies dans le cadre des interactions très riches développées avec les équipes des centres de référence de canalopathies et des pathologies neuromusculaires de la Salpêtrière, aujourd’hui réunis au sein du service de Neuromyologie. Depuis longtemps déjà, un staff bimensuel permet la discussion des dossiers EMG difficiles ou illustrant un aspect original de la pathologie neuromusculaire. Ces moments de partage, volontiers émaillés de fous rires, nous ont immensément enrichis, tant il est vrai qu’Emmanuel savait faire rayonner l’intelligence et la joie autour de lui.

Ce moment du staff, c’est le dernier que nous avons partagé avec Emmanuel… Ce 25 mars 2022, nous avons de nouveau communié dans la joie du savoir, le plaisir de la curiosité, le bonheur de l’amitié… sans imaginer la perte imminente qui nous menaçait. Sidérés par ce départ trop rapide, nous mesurons toutefois la chance que nous avons de garder en mémoire le visage radieux d’Emmanuel en ce dernier vendredi de sa vie professionnelle. Gageons que s’il existe un au-delà, son sourire réjouira Charcot et Socrate, Déjerine et Spinoza…